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Pierre Leriche

Archéologue, Ecole normale superieure, Paris

 

Quelle a été par le passé votre relation avec l'Afghanistan ?

Elle est liée à mon activité d'enseignant-chercheur en histoire et en archéologie, spécialisé dans l'étude de la civilisation grecque en Orient après la conquête d'Alexandre. J'avais, en 1969, choisi de travailler sur l'histoire, encore mal connue, du grand royaume fondé par les Grecs en Bactriane, une région qui correspond au nord de l'Afghanistan et au sud de l'Ouzbékistan et du Tadjikistan.

C'est ainsi que je suis venu en Afghanistan à cinq reprises (de 1969 à 1978) pour des séjours de deux à trois mois. J'étais alors chargé par P. Bernard de fouiller les remparts de la grande et prestigieuse ville grecque d'Aï Khanoum, découverte par D. Schlumberger à l'extrême nord du pays, sur la rive gauche de l'Amou Daria (fouille que j'ai publiée en 1986). Comme les autres membres de la mission, j'ai alors appris le farsi, ce qui permettait d'avoir des relations directes et amicales avec la population des villages environnant qui venait travailler sur la fouille et à qui j'allais rendre visite les jours de repos.

J'ai ainsi connu le pays à l'époque de la royauté, puis du gouvernement Daoud, puis de la république dominée par le parti communiste. L'Afghanistan détenait alors le triste record du PIB le plus bas du monde, avec une économie constituée à 55% par les subventions étrangères. La misère y était extrême, la mortalité infantile très élevée et, comme maintenant, les femmes étaient toutes strictement voilées. Je n'ai jamais vu, durant tous mes séjours, de visage de femme afghane, que ce soit à la campagne ou en ville!

Depuis la fin de 1978, toutes les fouilles en Afghanistan se sont interrompues. Je n'y suis donc plus retourné. La DAFA (Délégation Archéologique Française en Afghanistan), alors dirigée par J.-C. Gardin, a encore subsisté dans ses locaux à Caboul durant cinq ans, puis elle a été supprimée par les autorités afghanes.

Quelle est actuellement votre relation ou votre implication avec ce pays ?

Jusqu'à présent, il ne m'est pas possible d'y aller en tant que chercheur du gouvernement français. C'est pourquoi, pour continuer mes recherches sur la Bactriane antique, j'ai créé une nouvelle mission archéologique en Ouzbékistan du sud: la Mission Archéologique Franco-Ouzbèque (MAFOUZ) de Bactriane septentrionale. L'équipe ainsi constituée travaille dans une région située le long de la rive droite de l'Amou Daria, face à l'Afghanistan, dans une zone qui fait partie de la même aire culturelle que celle d'Aï Khanoum.

Que pensez-vous des actions menées pendant ces vingt dernières années pour préserver son patrimoine ?

Ces actions me semblent avoir été peu efficaces : un énorme trésor de monnaies (trois tonnes), découvert au nord de l'Afghanistan, a été dispersé au Pakistan (voir Dossiers de l'Archéologie "Les empires iraniens), le site d'Aï Khanoum est soumis au pillage (voir photo dans le volume des Dossiers de l'Archéologie n° 247 "La Bactriane", p. 4), les magnifiques sculptures des monastères bouddhiques de Hadda ont été détruites, un des gigantesques Bouddhas de Bamyian a été décapité, des ruines apparemment grecques trouvées près de Bactres ont également été détruites et le musée a été pillé.

Quels sont vos futurs projets en Afghanistan, et êtes-vous prêt à engager des moyens ou de nouveaux programmes pour sauvegarder son patrimoine ?

Comme je l'ai dit, en tant que chercheur du CNRS, donc envoyé en mission par l'état français, je ne peux agir que dans le cadre d'une reconnaissance de l'Etat actuel d'Afghanistan par les instances internationales. Il ne m'est donc pas possible de m'y rendre actuellement. Mais je suis l'affaire de très près et, bien entendu, s'il est possible d'œuvrer pour préserver ce qui reste du patrimoine de ce pays, je suis prêt à y contribuer. En attendant, dans le cadre de la mission que je dirige en Ouzbékistan, je forme de jeunes chercheurs qui pourront, le moment venu, participer avec mon aide à la relance de la recherche sur le très riche passé de ce pays.

Dijon, les 8 décembre 1999-11 janvier 2000

Monsieur Pierre LERICHE

ECOLE NORMALE SUPÉRIEURE

AURORHE UMR 126-9

 

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